TERREP : la ressource eau
- Création : vendredi 24 mars 2017 14:48
- Écrit par Jean-François PAPOT
Lancé en 2015 par Vizea, le TERritoire à REssources Positives (TERREP) est un territoire qui vise une autonomie de ressources et déchets pour autoriser le développement humain sans consommer la planète. Cet article, premier d’une série sur les conséquences de la démarche TERREP sur les différentes ressources, aborde l’eau : sa rareté, son impérieuse nécessité et la manière dont chaque maillon de la Ville Durable doit l’économiser, la valoriser et la récupérer.
Quelques constats sur l’eau
La France reçoit chaque année 440 milliards de m3 d’eau sous forme de pluie, de neige, ... Premier constat donc : l’eau est plutôt abondante en France mais l’intermittence des précipitations fait s’alterner les périodes de surproductions (et son lot d’inondations) et les périodes de sous-production (sécheresses).
Sur les 33,4 milliards de m3 d'eau prélevés en France métropolitaine en 2009, 5,5 milliards de m3 (soit 17% du total prélevé) ont été consacrés à la distribution d'eau potable soit une consommation moyenne par Français de 150 litres par jour.
Il est intéressant de regarder comment chacun d’entre nous consomme cette eau rendue potable pour que nous puissions la boire:
- 1 % est effectivement consacrée à cet usage et même 7 % en intégrant la préparation des aliments (cuisson, lavage…)
- Le reste (93%) est utilisé pour l’hygiène corporelle, la chasse d’eau des WC, et diverses tâches ménagères.
Répartition de l’utilisation domestique de l’eau potable
La sobriété et l’efficacité aux différentes échelles
A l’échelle des réseaux
En France, un quart de l’eau mise en distribution n’arrive pas à l’usager du fait des fuites importantes tout au long des 850 000 km de canalisations du réseau français.
La Ville Durable peut-elle se permettre de gaspiller ainsi près d’un litre sur quatre ? Le TERREP fait-il sens si malgré ses propres efforts d’autonomie, l’eau est ainsi gaspillée avant même d’être disponible sur son territoire ? A l’évidence non !
C’est pourquoi le Grenelle de l’environnement a fixé l’obligation pour les services de distribution de l’eau de suivre et limiter ces pertes. L’ONERA a formalisé un guide pour l’élaboration de plans d’actions de réduction de ces fuites pour améliorer la connaissance du réseau et des pertes, mettre en place une politique de recherche active des fuites et de réparation, rénover les réseaux … Reste maintenant aux opérateurs et aux collectivités à s’emparer de ce guide. Sa prise en compte est, à l’évidence, un pré-requis du TERREP.
Lorsqu’il en existe, les réseaux d’eau non potable doivent être utilisés, sinon dans les bâtiments, du moins dans l’espace public ou dans les parties communes. C’est le cas par exemple à Paris qui a su conserver au 18ième siècle son réseau de fontaines publiques pour en faire le plus grand réseau d’eau non potable de France.. La ville s’en sert actuellement essentiellement pour le nettoyage des rues mais parfois pour climatiser certains bâtiments (hôtel de ville par exemple).
Malheureusement, l’exemple parisien n’est pas courant (sauf dans le sud de la France où le cas est fréquent) et il ne serait économiquement pas rentable de le reproduire puisque l’essentiel du coût d’approvisionnement en eau potable est lié au réseau. Les gains engendrés sur la non potabilisation d’une partie de l’eau ne permettrait pas de doubler le réseau français. La démarche mérite cependant d’être reproduite, à plus petite échelle (ZAC ou parcelle), pour combiner récupération de l’eau de pluie et l’utilisation raisonnée de l’eau potable.
A l’échelle des aménagements extérieurs
Si les principes édictés pour les réseaux (suivre, limiter, anticiper les fuites) s’étendent sans souci à l’échelle de l’aménagement urbain ou de la parcelle, la principale fonction consommatrice d’eau à cette échelle reste les éléments paysagers.
Alors qu’un jardin de pleine terre bien conçu (ou avec un volume de terre adapté aux plantes choisies), au-delà des premières années, finit par être plus ou moins autonome sous réserve que l’usager accepte le jaunissement ponctuel, il subsiste des aménagements paysagers particulièrement sensible du point de vue de la ressource eau :
- La pelouse (et par extension le jardin d’apparat) qui consomme à elle seule 4 litres au m². Cela peut sembler peu mais cette quantité finit par représenter au bout de 15 jours pour 500 m² près de 30 m3 d’eau soit l’équivalent:
- de 50 jours de consommation en eau d’une famille pour tous ses besoins,
- de plus de 13 ans pour ses seuls besoins liés à la boisson.
- La végétalisation des façades (et par extension la nature en ville sans penser l’épaisseur des substrats en conséquence).
Trop souvent, la « Nature en ville » se fait alors au moyen d’une instrumentation tantôt technique, tantôt énergivore qui apparait hors contexte dans le cadre de la ville durable : la nature en ville doit être accompagnée et entretenue mais ne doit pas se faire au détriment de ressources naturelles comme l’eau ou l’énergie.
Le TERREP doit penser l’opération et l’image qu’elle reflète dans la durée. Il ne s’agit pas que de produire une esquisse ou de construire un projet dont 10 ans plus tard (et parfois moins) la végétation serait en piteux état. Ce sont ainsi 3 objectifs complémentaires qui doivent s’inscrire dans l’ADN végétal du TERREP
- S’adapter aux micros climats par le choix de végétaux adaptés à l’épaisseur de terre, aux orientations et aux masques solaires ;
- Rechercher l’autonomie en eau toute l’année en stockant l’eau de pluie et en veillant à l’adéquation entre le volume de stockage, les modèles climatologiques (pluie, sécheresse, …) et les végétaux retenus. .
- Elaborer un système d’arrosage « naturel » s’inspirant du relief et apportant l’eau aux plantes de manière gravitaire et économe.
Une des propositions que nous avions retenues pour le site Paris Rive Gauche avec nos partenaires M / FR et l’agence FORR sur Réinventer Paris était de limiter les végétaux en façade en fonction de leur consommation, des orientations et du volume que nous pouvions retenir en toiture. L’objectif était, pour ces arbres en jardinière, de se débrouiller avec la pluie et l’arrosage gravitaire que nous pouvions apporter à partir des réservoirs en toiture via des « pailles » judicieusement intégrées à l’architecture retenue.
« A l’instar de la nature, notre trame végétale doit s’abreuver d’eau pluviale et ne pas dépendre d’eau potable. Pour cela, l’eau de pluie des étages supérieurs est collectée (unitairement ou collectivement) pour fournir à chaque plante l’eau dont elle a besoin lors des périodes sèches.
Une analyse précise des besoins de chaque végétal a permis, à partir des données météorologiques standards et critiques (anticipation des conséquences du changement climatique) de dimensionner au plus juste chaque cuve de récupération pour stocker, en période humide, suffisamment d’eau et alimenter progressivement chaque plante en fonction de ses besoins tout au long des périodes de sécheresse.En amont, le schéma hydraulique des toitures a été étudié pour que chaque cuve reçoive la quantité nécessaire d’eau permettant de garantir qu’elle ne tombe jamais à sec .Reproduisant localement les barrages de la nature, notre projet dissimule ainsi dans les toitures les bassins qui alimenteront notre façade végétale. » - Extrait note de présentation du projet
Sur ce projet, la réelle complexité était, une fois le principe posé, d’identifier les besoins de chaque plante et de dimensionner au plus juste chaque cuve de récupération pour stocker, en période humide, suffisamment d’eau et alimenter progressivement chaque plante en fonction de ses besoins tout au long des périodes de sécheresse. Ces modélisations permettaient avec une cuve de 80 m3 d’assurer l’autonomie en eau de l’ensemble des végétaux. Corolaire intéressant, l’installation limitait le rejet au réseau d’eau pluviale à, au pire 14 litres sur une journée et en tout à peine 45 litres sur l’année. Hormis réglementairement(1), les bassins de rétention devenaient quasiment inutiles sur le projet.
Pour éviter les systèmes techniques fragiles et/ou énergivores, le concept hydraulique devait être uniquement gravitaire. L’idée était que chaque jardinière possède un mini réservoir situé sous la terre restituant par capillarité l’eau aux plantes. Un diffuseur, initialement mis au point pour les climats semi désertique nécessitant de collecter et de stocker de l’eau en abondance lors d’orage intenses et brefs, avait été détourné pour s’adapter aux contraintes du climat parisien actuel et futur. L’eau circulait par les « pailles » du projet, passant des bassins de toitures (barrage) jusqu’au mini–réservoir. Lorsque le réservoir était plein, la pression et un flotteur arrêtaient le débit jusqu’à ce que les plantes consomment l’eau.
- La réglementation impose en effet de distinguer les bassins de rétention (dont l’objectif est de se vider) des bassins de stockage (dont l’objectif est de se remplir). Dans le cas de ce projet, la cuve de 80 m3 de stockage n’aurait pas empêché la construction d’un bassin de rétention de 40 m3 … pour retenir 45 litres par an
A l’échelle des bâtiments
A l’échelle du bâtiment, la réduction de la consommation d’eau présente un double avantage : d’une part une baisse de la facture d’eau elle-même, mais aussi une baisse non négligeable de la consommation d’énergie pour la production d’eau chaude. Pour ces raisons, mais aussi pour épargner la ressource eau, le TERREP doit imposer des produits qui limitent les besoins en eau pour une même activité :
- Des mitigeurs voire des robinets thermostatiques équipés de mousseurs,
- Des douchettes « venturi » voire à pulsation qui permettent d’obtenir un débit compris entre 6 et 9 l/min ce qui engendre des économies d’eau et d’énergie (de l’ordre de 30 à 50 %)
- Des cuvettes WC double chasse 3/6 litres ;
- Des appareils sanitaires avec un classement ECAU (les lavabos, bidets, éviers et douches avec un débit E < 16 l/min et les baignoires avec un débit E < 25 l/min) ;
- Une limitation de pression dans le réseau à 3 bars.
Vizea mène depuis plusieurs années un programme de recherche sur l’impact des systèmes hydro économes sur la préservation de la ressource eau. Ces travaux ont permis de quantifier les écarts entre un projet « classique » et les projets compatibles du TERREP.
Ainsi, sans demander aux usagers des efforts particuliers (hormis renoncer à laver leurs voitures mais le TERREP s’inscrivant dans la ville des courtes distances…), il est possible de diviser quasiment par deux sa consommation journalière !
Il est encore possible d’aller plus loin en récupérant et en réutilisant les eaux pluviales :
- d’une part pour alimenter les chasses d’eau. Ce dispositif, déjà mis en place sur de nombreuses opérations, permet une réelle économie d’eau potable et est tout à fait autorisé (hormis dans les établissements de petite enfance),
- d’autre part pour des usages communs, via des points de puisage judicieusement placés, pour le nettoyage des parties communes, le lavage des outils et vélos, ou encore l’arrosage résiduel des espaces extérieurs, et même pour les lave-linges ou les lave-vaisselles qui ne nécessitent pas d’eau potable.
Note : Le temps de retour sur investissement d’une récupération de l’eau de pluie pour les toilettes est de l’ordre de 7 ans (en intégrant le stockage, le double réseau d’eau …).Le surcout et la complexité supposée des réglementations est souvent pour le promoteur le moyen d’éviter de changer ses méthodes.
Le recyclage de l’eau usée et la valorisation de la ressource
En circuit fermé
La récupération de l’eau a déjà été évoquée mais il est possible d’aller plus loin encore car la même eau peut servir plusieurs fois à des usages différents, voire au même usage. Certaines industries recyclent déjà leurs eaux qui circulent en circuit fermé.
Le recyclage des eaux domestiques est aussi possible : les Japonais, par exemple, ont développé, dans les régions où l'eau, est rare une technique de recyclage où l'eau liée aux salles de bains est récoltée dans des citernes, traitée grossièrement et renvoyée dans l'immeuble pour alimenter les chasses d’eau. Il est vrai que ce pays est très en avance sur le sujet : du pommeau de douche, qui mélange de l’air à l’eau pour en utiliser moins jusqu’à l’eau du bain réutilisée pour la lessive en passant par le moins sophistiqué mais très célèbre lavabo-chasse d’eau totalement démocratisé au japon (l’eau usée pour se laver les mains va dans le réservoir de la chasse d’eau directement) sont un aperçu des techniques utilisées pour limiter la consommation et valoriser ce que nous préférons généralement remettre au réseau sans y réfléchir. Le TERREP doit s’inspirer de ces exemples dans toutes ses composantes.
Ces éléments permettent en complément de limiter les rejets au réseau dont le surdimensionnement, du fait de notre incapacité à réutiliser l'eau de pluie, conduit à des surcoûts économiques donc sociaux portés par chaque habitant. Ajoutons en complément, que l'usage de l'eau de pluie (hors arrosage) doit être quantifié et déclaré à la collectivité en charge du traitement des eaux pour qu'elle facture ce traitement. Certaines collectivités, pour encourager cette pratique vertueuse, décident de volontairement ne pas taxer ces rejets d'eaux.
Comme réserve de calories
En matière d’efficacité énergétique, il est logique de réduire d’abord les besoins en utilisant mieux l’énergie pour ensuite produire l’énergie requise le mieux possible. Le chauffage de l’eau à des fins sanitaires (ECS) est souvent la seconde dépense énergétique en importance et, même avec les efforts récents sur l’enveloppe limitant les besoins en chauffage, parfois la première !
Or, après avoir été chauffée à 55°C puis utilisée, cette eau chaude est ensuite rejetée au réseau à une température moyenne de 30°C. Une grande quantité d’énergie se retrouve ainsi à l’égout.
LE TERREP ne peut se contenter de « voir passer les calories » sans chercher à les récupérer. De nombreux systèmes existent, la plupart avec d’excellents temps de retour sur investissement, permettant
- soit en évitant de consommer : c’est le cas, par exemple, des systèmes « passifs » de type powerpipe qui récupèrent par conduction la chaleur des eaux usées pour préchauffer l’eau froide. Ces systèmes sont particulièrement adaptés lorsque l’usage suppose de nombreuses douches en même temps (résidence étudiante, piscine, gymnase….),
- Soit en récupérant la chaleur avec des pompes à chaleur qui viennent, de manière active, récupérer la chaleur sur les eaux usées pour produire de l’eau chaude sanitaire voire une partie du chauffage. A titre d’exemple, le synoptique ci-dessous présente le fonctionnement du système biofluide que nous commençons à mettre en œuvre sur certains de nos projets.
Cet article ne vise pas l’exhaustivité mais montre que le TERREP peut et doit penser l’eau comme une ressource finie : La sobriété permet de limiter drastiquement nos besoins en eau, l’efficacité permet de n’utiliser l’eau potable que pour les besoins qui le nécessitent (limitant les coûts et l’usage de produits chimique ou de techniques énergivores), la récupération de l’eau de pluie devrait être obligatoire tant ses vertus sont nombreuses … Même une fois utilisée, cette eau consommée peut et doit nous servir en cycle court pour la réutiliser soit pour des besoins moins nobles, soit pour en tirer le maximum de calories avant de la rejeter.
En complément, comment parler d’eau sans évoquer, même brièvement, la gestion des eaux pluviales ? Le TERREP doit être responsable par rapport aux risques d’inondations. La récupération de l’eau de pluie ou la rétention temporaire limite la saturation des réseaux lors d’orages alors que l’infiltration in situ permet d’envisager le zéro rejet d’eau pluviale. C’est là un autre sujet qui fera bientôt l’objet d’un prochain article.