L'agriculture urbaine
L’agriculture urbaine, qu’est-ce que c’est ?
Il n’existe pas de définition unique est consensuelle de l’agriculture urbaine. Nous dirons qu’il s’agit en premier lieu d’une activité de production végétale ou animale localisée dans les régions urbaines.Il s’agit d’une agriculture à majorité non professionnelle et à petite échelle, dont la finalité première est la consommation en circuit court plutôt que l’exploitation commerciale de la production.Enfin, la notion d’agriculture urbaine est indissociable de la dimension sociale : il s’agit d’un mouvement social urbain qui se réapproprie l’espace urbain.
La finalité de l’agriculture urbaine n’est pas l’indépendance alimentaire totale. Il s’agit plus d’une contribution à la sécurité alimentaire urbaine, tout en permettant aux citoyens de se réapproprier leurs villes, d’en faire des espaces plus désirables, de construire du lien social, de réintroduire de la biodiversité dans des espaces denses. D’autres thématiques sont étroitement liées au mouvement d’agriculture urbaine : l’agriculture biologique, la gestion différenciée des espaces verts, la démarche « zéro produit phyto », le compostage des déchets, le bouclage écologique, la permaculture, etc. L’agriculture urbaine est la recherche d’une nouvelle forme de vivre ensemble.
- Où ? L’agriculture urbaine concerne aussi bien l’espace public que l’espace privé, qui peut être soit géré directement (par les particuliers ou les collectivités), soit mis à disposition de certaines associations. On peut citer comme espaces : les jardins des zones résidentielles, les toitures, les espaces délaissés (friches, bordures de routes et de voies de chemin de fer, espaces en attente de construction), et autres espaces publics (parcs & jardins, ronds points, pieds d’arbres, etc.)
- Production ? Fruits et légumes, herbes aromatiques, élevage (poules, chèvres, moutons, vaches), miel, …
- Supports de culture ?
- Pleine terre ou terre modifiée/apport de terre exogène, lorsque le contexte le permet
- En culture hors sol sinon : en bac/pots, on bien avec des systèmes tels l’hydroponie (technique de culture hors-sol réalisée sur un substrat neutre te inerte, régulièrement irrigué d’une solution nutritive) ou l’aquaponie (culture de végétaux en symbiose avec l’élevage de poissons : les déjections des poissons servent d’engrais pour le végétal cultivé).
- Fonction ? L’agriculture urbaine revêt de nombreuses fonctions dans nos villes :
- Fonction sociale : vecteur de pédagogie et de réinsertion, affirmer la vie de quartier, développer des liens intergénérationnels et la mixité sociale.
- Fonction paysagère : revaloriser l’espace, embellir les bâtiments, créer des espaces tampons (en bordure de voies par exemple)
- Fonction environnementale : favoriser une meilleure gestion de l’eau (réduction des rejets d’eaux pluviales et lutte contre la saturation des réseaux par une meilleure perméabilité des sols) et gestion des déchets (compostage, poules)
- Fonction économique : via la vente de produits en circuits courts, création d’emplois locaux non délocalisables
- Fonction de santé publique : manger plus sainement, local, bio et de saison
- Fonction alimentaire : marginale (pas d’objectif d’autosuffisance) mais réelle
- Acteurs ? De nombreux acteurs prennent part au développement de l’agriculture urbaine :
- Les habitants : en premier lieu, les citoyens et habitants qui expriment un besoin (de manger local, de passer du temps avec des voisins, d’embellir leur espace de vie). Ce sont eux qui constituent la demande, et donc le socle de base de l’agriculture urbaine. Un projet d’agriculture urbaine « imposé » ou « parachuté », qui ne prendrait pas en compte les demandes et besoins des habitants, est voué à l’échec à court ou long terme.
- Les associations : c’est sous cette forme que se regroupent les citoyens concernés, afin de se doter de moyens d’action et de représentativité.
- Les collectivités : elles ont un rôle primordial à jouer, car c’est aux travers de politiques publiques engagées que peuvent d’épanouir des initiatives citoyennes : mise à disposition de terrains, subventions aux associations, démarche « zéro phyto » ou de gestion différenciée, opérations pilotes, exemplarité dans les bâtiments publics, etc.
- Les Institutions et centre de recherche : ils interviennent de par la recherche de solutions techniques et innovantes nécessaires au développement de l’agriculture urbaine, sur des thématiques comme l’impact de la pollution sur la production, l’augmentation des rendements en culture hors-sol, etc.
- Les agriculteurs : même si on peut déplorer actuellement une faible perméabilité entre le monde de l’agriculture conventionnelle, majoritairement processionnelle, et de l’agriculture urbaine, majoritairement amateur, les agriculteurs peuvent faire bénéficier ces derniers de leur savoir faire précieux.
Quelles formes peut prendre l’agriculture urbaine ?
Les jardins partagés : un lieu de vie par et pour les habitants !
Un jardin partagé (ou jardin communautaire) est un espace vert conçu, construit, cultivé et animé collectivement par les habitants. Lieu de vie ouvert sur le quartier, un jardin partagé favorise les rencontres entre générations et entre cultures. Réunis en association, les habitants gèrent le jardin au quotidien et prennent les décisions importantes collectivement. Il faut bien noter la différence avec les jardins familiaux (héritiers des jardins ouvriers), où une parcelle de jardin individuelle est attribuée par famille mais sans gestion collective de l’espace. Le maitre mot des jardins partagés est bien la convivialité.
Les potagers en libre service : nourriture à partager !
A la différence des jardins partagés, où l’implication de l’habitant est au centre du projet, le principe de potager en libre service dissocie la gestion du potager de la jouissance de sa production. Le potager en libre service peut être géré par la collectivité, comme à Grigny où des potagers fleurissent sur les ronds-points ou des parcs municipaux. Ces potagers sont entretenus par les jardiniers de la communauté d’agglomération, et tous les habitants sont invités à venir récolter eux même fruits, légumes et herbes aromatiques. L’initiative peut également être citoyenne, à l’image du mouvement des Incroyables Comestibles. Réseau apolitique, gratuit et sans adhésion, Les Incroyable Comestibles est né à l’origine en Angleterre en 2008 (Incredible Edible), et essaime partout dans le monde depuis. Le principe est simple : tout habitant est invité à planter fruits et légumes dans l’espace public, avec l’indication « Nourriture à partager », pour inviter à la cueillette en libre service.
Les toitures potagères : des légumes sur nos toits !
Le principal frein de l’agriculture urbaine, c’est le foncier. Alors forcément, investir les toitures représente un intérêt tout particulier d’exploiter un gigantesque réservoir de surface disponible et valorisable. A Paris, la mairie estime à environ 315 ha la surface de toitures végétalisables.
Quelques exemples : le potager urbain expérimental sur le toit d’AgroParisTech (projet T4P pour Toit Parisien Productif Projet Pilote). 600 m² d’expérimentation sur les différents substrats utilisables et d’études sur la teneur en polluants de la production. On peut également citer le potager situé sur le toit de la Maison de la Mutualité, dont la production permet de fournir le restaurant « Le Terroir parisien » situé au RDC. Sur le toit de l’hôtel Pullman Tour Eiffel, on trouve aussi un potager / verger de 650 m², des bacs de compostage et des poules !
L’apiculture urbaine : des ruches sur les toits et dans les jardins !
L’apiculture urbaine se développe depuis une grosse dizaine d’années. Ce phénomène s’est intensifié récemment depuis que les analyses démontrent que la qualité du miel ainsi produit n’a rien à envier à un miel bien rural. Contrairement à l’idée reçue qui voudrait que miel urbain = miel pollué, il y a généralement moins de produits phytosanitaires et de pesticide utilisés en milieu urbain qu’en zone rurale agricole. Certaine villes, à l’image de Paris, ont même totalement banni l’utilisation de produits phytosanitaires dans leurs murs. Du miel de bonne qualité, un vecteur de sensibilisation des populations urbaines aux causes du déclin des abeilles, promotion de la biodiversité grâce à la polonisation engendrée, autant de raison qui justifie l’engouement pour l’apiculture urbaine !
Attention à l’effet de mode et au « Bee Green Washing » !
Pour autant, cet engouement se transforme en véritable effet de mode dans certaines villes, avec une prolifération de ruches proposées sur les toits des bâtiments nationaux, des entreprises, etc. Attention, car importer une colonie de 50 000 abeilles en moyenne n’est pas anodin. Tout d’abord, la concurrence est rude avec les pollinisateurs naturels (sur une centaine d’espèces d’abeilles, seule l’abeille dite « domestique » produit du miel, contrairement aux autres espèces pollinisatrices). La modification de l’équilibre de l’écosystème existant avant la mise en place d’une ruche ne doit pas être négligée. Enfin, il faut bien nourrir les 50 000 abeilles de sa ruche… si l’expansion des ruches urbaines se fait de manière intensive et déraisonnée, sans vérification préalable de la surface « butinable » disponible dans les environs, le risque qu’il n’y ai pas assez à manger pour toutes ces abeilles est réel ! Bruxelles est actuellement confrontée à une explosion du nombre de ses ruches urbaines et à un risque de « pénurie butinable »… Donc : oui à une apiculture urbaine durable et pédagogique, non à une apiculture en ville intensive et déraisonnée !
Recyclons nos déchets : l’élevage de poules et le compostage !
Comment boucler la boucle ? En utilisant ses déchets comme entrants ! Pour cela, deux possibilités : le compostage ou… l’élevage de poules ! Avec un appétit permettant de consommer jusqu’à 150 kg de déchets / an, la généralisation de l’élevage de poules en zone périurbaine commence à être sérieusement étudié par certaines collectivités pour réduire leur poste de traitement des déchets, parfois faramineux. La procédure : on offre compost ou gallinacées et poulailler aux habitants volontaires, selon la formule choisie, avec production d’œufs frais / d’engrais fertile pour les uns et diminution du volume des déchets à traiter, et donc des coûts associés, pour les autres !
Quelques villes ayant initié une expérimentation du dispositif de distribution de poules gratuites pour réduire les déchets : Auch (32), Montluçon (03), Bethune (62), Courdimanche (95), Honfleur (14), Châtillon (92), …
Autre possibilité collective : les composteurs collectifs (dans les jardins partagés par exemple), accessibles à tous les habitants, ou les poulaillers communaux, comme à Mandagout (30) ou à Viller les Pots (21).
L’éco-pâturage : des moutons pour tondre nos pelouses !
L’éco-pâturage consiste à mettre à paître des animaux (vaches, moutons ou chèvres principalement) pour conserver des espaces naturels en état, en lieu et place d’utilisation d’engins mécaniques et de désherbants. L'éco-pâturage vise à garder les milieux ouverts en empêchant les broussailles, buissons et arbres de recoloniser l'espace. Cette pratique présente plusieurs avantages, dont les plus importants sont le maintien de la biodiversité et l’entretien de zones difficiles d’accès (talus, broussailles, etc.). L’entretien des espaces vertes est ainsi possible à faible coût. Attention cependant, le but principal de l’éco-pâturage n’est pas la rentabilité économique mais le maintien ou la restauration du milieu tout en limitant les coûts de gestion. Les bêtes doivent en effet être entretenus régulièrement, et nourries en hiver. La gestion des nuisances éventuelles aux riverains (nuisances sonores ou olfactives) doivent aussi bien être prise en compte. Les communes qui font appel à cette stratégie constatent en revanche une attractivité et une redynamisation des sites (les alentours du site deviennent lieux de promenades familiales où l’ont vient observer les animaux), et l’éco-pâturage peut être prétexte à l’organisation d’événements festifs (à l’occasion de l’arrivée des animaux au printemps, de l’acquisition d’une nouvelle bête, etc.) qui fédèrent les habitants.
D’un point de vue pratique, les communes peuvent par exemple louer un cheptel à un éleveur local ou à une association pour une période donnée, l’éleveur s’occupant du suivi des animaux (soins, tonte, visites vétérinaires, vaccinations, etc.).
Une enquête réalisée en 2013 par l’association Entretien Nature & Territoire à dénombré 150 collectivités en France engagées dans un projet d’éco-pâturage, pour une surface médiane entretenue de 3 ha.
Serres urbaines et fermes verticales : l’agriculture urbaine du futur ?
La production en serre urbaine est actuellement une pratique marginale en développement. Le projet le plus emblématique est la ferme Lufa dans les environs de Montréal : 3 000 m² de serres urbaines en toiture, cultivées en hydroponie. Des paniers de légumes sont commercialisés et permettent de nourrir pas moins de 2000 personnes.
A Singapour, c’est le concept de ferme verticale / serre verticale qui a été inauguré en 2012 par la société Sky Greens : 120 tours en aluminium d’une hauteur de 9 mètres. Chaque tour comprend 38 étages dans lesquels sont plantés trois variétés de salades.
En France, quelques projets sont à l’étude, comme par exemple la Ferme Urbaine Lyonnaise (FUL) développée par l’agence NOTUS, qui vise la construction d’un démonstrateur pilote sur le campus LyonTech-la Doua à l’horizon 2015-2016, ou encore la Ferme sur les toits à Romainville, concept développé par l’agence d’architecture SOA.
Quels sont les freins et les problématiques associées ?
Les défis auxquels doivent faire face les acteurs de l’agriculture urbaine :
- Le manque d’espace / la pression foncière. C’est là tout le paradoxe à résoudre : pour préserver les terres agricoles périurbaines, on densifie les zones urbaines, au détriment du développement d’espaces dédiés à l’agriculture urbaine…
- La pollution de l’air et des sols : des études menées sur le potager expérimental du toit d’AgroParisTech ont montré que la teneur en polluants des fruits et légumes cultivées est plus faible que la moyenne, du fait de la hauteur. Qu’en est-il pour les fruits et légumes cultivés à même le sol, dans des zones anciennement polluées ou à proximité d’importantes circulations routières ?
- La gestion des espaces et l’implication des habitants : il est primordial de définir le plus en amont possible la gestion prévue d’un espace dédié à l’agriculture urbaine. Les sites de jardins partagés sont ainsi gérés généralement par des associations, les potagers en libre service par des collectivités, etc. Un espace dont la gestion n’a pas été clairement définie prend le risque d’être délaissé et abandonné à l’usage, surtout si les habitants n’ont pas été clairement associés au projet et leurs besoins non pris en compte en amont (exemple : installation d’un potager dans une opération de promotion immobilière pour répondre à un cahier des charges, sans définition claire préalable de l’usage et de la gestion du lieu).
- Vandalisme ? C’est souvent la crainte des espaces ouverts à tous, type jardins partagés ou potagers libre services : les lieux vont-ils être vandalisés ? Le problème étant qu’à trop vouloir se prémunir contre les risques de vandalisme, on dénature des projets à vocation ouverts à tous.