Copropriété Durable et approche en coût global au service de la Ville de demain
- Création : jeudi 24 février 2022 09:52
- Écrit par Aude MATARD
Être acteur de la ville durable c’est agir pour un territoire à ressources positives, créer les conditions qui permettent de rendre possible des projets innovants, sobres en ressources, utiles pour les habitants… C’est aussi leur permettre d’habiter dans de bonnes conditions.
Il existe aujourd’hui plusieurs démarches pour les favoriser et lutter contre l’habitat indigne. La Copropriété Durable, développée par Grand Paris Aménagement est une de ces premières réponses.
Le Webinaire « Copropriété durable » organisé par Vizea le 13 octobre 2021 a été l’occasion de bénéficier de retours d’expérience sur des moyens pour allier durabilité, confort d’habiter et sobriété environnementale à l’échelle urbaine ou bâtimentaire. Ce temps a permis d’évoquer les outils disponibles pour maitriser dans le temps les coûts de gestion et faciliter l’accession tout en participant au reste à vivre des habitants. Différents acteurs sont intervenus pour partager leurs approches et leurs retours d’expérience en lien avec la Copropriété Durable.
Témoignages
Magaly SIMON, Directrice de projets à la direction de l’Habitat Privé, Grand Paris Aménagement
Expliquez-nous les raisons qui ont conduit Grand Paris Aménagement à intégrer la démarche de la Copropriété Durable ?
La démarche de Copropriété Durable a été initiée en 2018 dans la cadre du Projet Renouvellement Urbain (PRU) de Clichy-sous-Bois et Montfermeil.
Les deux communes ont été négativement impactées dans les années 60-70 par la création des grands ensembles. Enormément de logements de faible qualité en copropriété privé ont été produits sur les deux communes. Ces logements se sont dégradés très rapidement et en 10 ans, nous avons pu voir une importante augmentation des charges impayées et le départ des premiers propriétaires vers les Villes Nouvelles. L’Etat a mis du temps pour trouver les outils pour intervenir et les copropriétés se sont dégradées jusqu’à un état de carence totale avec un montant d’impayés qui, sur certaines copropriétés était d’environ 30 000 euros par copropriétaire. Les pouvoirs publics ont donc pris la décision d’engager une phase importante de renouvellement et de démolition de ces logements.
Depuis, Grand Paris Aménagement intervient sur le recyclage des copropriétés dont la copropriété des Bosquet à Montfermeil (1500 logements) et à Clichy-sous-Bois (508 logements dans le quartier du Plateau et 1500 logements dans le quartier du Bas-Clichy). Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à une phase de diversification de l’habitat avec la réintroduction copropriétés privées, ce qui est rendu possible, entre autres, par l’arrivée d’une gare du Grand Paris Express en 2026.
Quartier du Plateau - Clichy-sous-Bois
La question était donc de savoir comment réintroduire de manière plus sécurisée l’accession privée sur ce territoire. Le PRU ayant produit des logements sociaux de qualité sur les communes, le risque était de produire une offre privée de moindre qualité que le social.
Donc, la Copropriété Durable est née d’un besoin de pouvoir positionner de manière fine et attractive cette nouvelle offre privée en créant une offre de logements de qualité de manière durable avec des contraintes de coût de construction et de gestion importante.
Qu’est-ce que cela représente, la « qualité », selon Grand Paris Aménagement ?
C’est la question que nous nous sommes posés. Nous avons essayé de définir les critères pour la commune de Clichy-sous-Bois. Est-ce que cela passe par une grande performance énergétique ? Quelles prescriptions architecturales cela implique-t-il ?
Dans ce cadre-là, nous avons travaillé avec Vizea, et l’urbaniste de la ZAC pour réfléchir aux conditions pour créer une copropriété qui sera dans de bonnes conditions sur 15, 30, 50 ans.
Quels problèmes ou solutions avez-vous identifié ?
Nous avons remarqué qu’une copropriété avec une part importante d’investisseurs et des accédants peu formés est très difficile à gouverner. Par exemple, elle ne vote jamais les travaux et périclite assez facilement. La taille de la copropriété est un élément essentiel à limiter pour rendre possible une bonne gouvernance. Nous avons mis la limite à 70 lots.
Deuxièmement nous avons identifié que les matériaux et leur cycle de vie jouent un rôle important pour la gestion de la copropriété. En effet, un bâtiment avec des matériaux de faible qualité se dégrade plus rapidement et génère un sur-entretien sur une plus courte période. Les frais de rénovation peuvent donc arriver trop tôt, dans des temporalités non compatibles avec les annuités d’emprunt des accédants et résulter en un refus des travaux ou à la fragilisation du budget des ménages.
Finalement, nous avons identifié que les charges de copropriété trop élevées enclenchent un cercle vicieux d’impayés de charges, une baisse des prestations d’entretien et un départ des copropriétaires les plus solvables.
Pour conclure, la copropriété durable propose une offre de logements performants énergétiquement avec un coût global le plus faible possible sur 15,30, 50 ans. Il s’agit également de proposer des produits permettant d’offrir un parcours résidentiel positif sur le territoire et de fixer les résidents pour qu’ils s’installent réellement sur le territoire. Cela passe aussi par le fait de rendre les charges de copropriété visible dans le taux d’effort, ce qui n’est pas toujours le cas. Finalement nous travaillons sur l’implication et la formation des résidents et sur la bonne insertion de la copropriété dans un réseau d’acteurs locaux pour pouvoir avoir une veille active d’éventuels disfonctionnements.
Les quatre piliers de la démarche Copropriété durable (Vizea)
Quels sont les leviers, en tant qu’aménageurs pour atteindre ces objectifs ?
Tout d’abord, un cahier des charges a été mis en place pour guider les promoteurs et assurer le respect des prescriptions établies avec Vizea. Ensuite, limiter les investisseurs à 30% pour assurer des copropriétaires vivants et impliqués dans la copropriété. Finalement, nous avons fourni un effort sur la charge foncière : Grand Paris Aménagement finance en grande partie certaines des prescriptions sur la mise en place d’un AMO Copropriété.
Comment l’accompagnement des premiers temps de la copropriété est-il abordé ?
Nous avons une gradation dans la prestation au fil des trois années. La première année nous mettons en place un suivi axé sur la constitution des organes de la copropriété. Le promoteur doit associer l’AMO à la désignation du syndic provisoire, à la constitution du premier conseil syndical, à la formation du conseil syndical et à l’organisation des premières assemblées générales. Les années 2 et 3, nous menons un suivi des charges et du pilotage du syndic.
Comment garantissez-vous sur le long terme que la part d’investisseur est maintenue ?
C’est en effet une des limites que l’on rencontre. L’opérateur immobilier a une obligation de résultats au moment où il signe les contrats de vente. Mais on ne peut pas réellement garantir que le propriétaire puisse habiter son logement. Il y a une clause dans les actes de vente des opérateurs, dans laquelle l’accédant s’engage à occuper son logement pendant 5 ans.
Eva LANIES, Responsable du pôle Urbanisme Durable, Vizea
Quels sont les leviers que l’on peut mobiliser pour limiter les charges dans le temps ?
Nous avons travaillé dans un premier temps, sur la compréhension du budget des ménages et comment participer à la réduction des dépenses ; notamment les dépenses logement.
Le premier levier est l’architecture raisonnée. Cela passe par le déploiement des principes d’architecture bioclimatique pour limiter les besoins thermiques des bâtiments. Cela se décline par la valorisation de la lumière naturelle pour limiter les besoins d’électricité notamment dans les locaux communs, les parkings et les circulations et halls. Finalement il est important de penser à réduire les espaces à entretenir en choisissant des essences avec peu d’entretien dans les jardins communs par exemple.
Impacts en coût global- Architecture raisonnée (Vizea)
Le deuxième levier comprend la pérennité des matériaux de la construction. Il s’agit de choisir des matériaux avec une grande durée de vie et une fréquence d’entretien basse (entre 20 et 50 ans par exemple).
Impacts en coût global - Pérennité des matériaux (Vizea)
La sobriété énergétique du bâtiment est un autre levier important de réduction des charges des copropriétaires. Il s’agit d’aller au-delà des exigences de la règlementation, de travailler sur les énergies de récupération et les énergies renouvelables, de limiter la dépendance aux énergies fossiles qui vont faire grimper les charges dans les années à venir, et d’accompagner la prise en main du bâtiment par la copropriété.
Impacts en coût global - Sobriété énergétique des bâtiments (Vizea)
Un autre levier d’économie, se rapporte aux infrastructures de stationnement. Limiter le stationnement enterré permet de réduire des coûts de construction et donc de vente. Parmi les actions possibles, il est intéressant d’éviter les parkings sur deux niveaux et de réfléchir à des formes de stationnements alternatives (stationnement semi -enterré, parking silo, parking mutualisé). De manière plus indirecte, il est également possible d’agir sur la charge de mobilité des ménages en encourageant les mobilités actives et de partages. On peut réfléchir, à l’échelle du bâtiment, à l’intégration de services dans les locaux vélos, à la fourniture d’une flotte de vélos électriques ou encore à l’intégration de places ou voitures en autopartage.
Impacts en coût global - Réduction des besoins de stationnement (Vizea)
La charge en eau potable peut également être réduite par la mise en place de systèmes de récupération qui peuvent ensuite être mis à profit pour divers usages comme le nettoyage des parties communes, l’arrosage des jardins, ou même pour un usage dans les sanitaires. Des systèmes de réutilisation de l’eau de pluie couplés à des systèmes hydro-économes dans les logements peuvent rendre possible jusqu’à 50% d’économies sur la facture d’eau potable.
Impacts en coût global - Réduction des besoins d’eau potable (Vizea)
Pour finir, un dernier levier concerne la mutualisation des besoins à l’échelle du bâtiment, voire la recherche de recette pour les futurs copropriétaires. Cette action se retranscrit par la mise en place des espaces mutualisés tels qu’une buanderie, des espaces de bricolage ou autres fonctions qui peuvent être définies sur la base d’une concertation des habitants. En effet, il s’agit de trouver les moyens d’impliquer les habitants dans la vie de la résidence. L’agriculture urbaine est une solution de plus en plus commune et appréciée qui peut contribuer à l’amélioration de l’image de la copropriété, aider à réduire les charges d’entretien des espaces extérieurs voire réduire la charge d’alimentation même si les échelles de déploiement restent limitées. Enfin des solutions existent pour obtenir des recettes pour les habitants comme la location des espaces de parkings et de toitures.
Impacts en coût global - Mutualisation des espaces communs (Vizea)
Et une fois que tous ces éléments sont intégrés aux réflexions au stade conception, quelles sont les conditions de la réussite de la démarche, selon vous ?
Il est important de s’appuyer sur des documents contractuels, de proposer des prescriptions opérationnelles et adaptées à chaque projet ainsi que se doter des outils pour les suivre. Les modalités de suivi sont à anticiper dès la phase conception. Cela sous-entend une responsabilité partagée des acteurs du projet.
En effet, nous constatons, lorsque l’on demande une estimation des charges des futurs copropriétaires au stade Permis de Construire, que les opérateurs n’ont pas forcément l’habitude de le faire. Il faut donc pouvoir les accompagner à l’intégration de la démarche.
Il est également à noter que la Copropriété Durable est une démarche globale qui se développe sur un temps long. Nous avons commencé à travailler sur la ZAC de la Dhuys en 2016. Nous commençons à dessert les retours d’expérience sur l’accompagnement des permis de construire la livraison des premiers lots.
Aujourd’hui, nous sommes vigilants à la méthode déployée dans l’accompagnement des premiers pas de la copropriété et l’accompagnement des opérateurs pour le bon lancement de la copropriété.
Patrick ROPERT, Directeur Général SEQENS Accession, SEQENS,
Noémie Bernard, directrice de l’aménagement et de l’architecture, SEQENS
Selon vous, en quoi l’opérateur social est-il impliqué dans la copropriété durable ?
Pour vous donner un peu de contexte, SEQENS a débuté il y a 7 ans de la fusion de 6 bailleurs et fait maintenant parti du groupe Action Logement. Nous avons comme objectif la production de 4000 logements par an en Ile de France dont la moitié seront produits en tant que maitrise d’ouvrage directes, le reste étant acheté à des promoteurs. Nous sommes de ce fait un des premiers opérateurs immobiliers en Ile-de-France. Nous avons également un objectif de rénovation de 3000 logements de notre parc par an. Finalement, une de nos ambitions est de favoriser l’accession sociale à la propriété grâce à la vente HLM, par le biais de notre filiale Seqens accession et par le biais de notre syndic social.
Les chiffres clés de SEQENS en Ile de France
Aujourd’hui nous avons 600 immeubles, soit 1/3 de notre parc, sous le régime de la copropriété donc nous sommes tout à fait concernés par la problématique de la Copropriété Durable. D’autres part, notre activité de vente HLM fait que nous vendons environ 20 immeubles par an. Ces immeubles, une fois vendus, intègrent le régime de la copropriété. Dans le cadre de la vente nous devenons syndic de droit et nous avons une activité de syndic en interne nommée Issyndic grâce à laquelle nous gérons ces nouvelles copropriétés. Nous nous intéressons donc aux conditions de mise en place d’une copropriété fonctionnelle et durable.
Quels sont les éléments que vous mettez en place pour le bon fonctionnement de vos copropriétés ?
Nous faisons très attention à nos clients et notamment aux nouveaux acheteurs de nos logements vacants. Nous leur demandons que ce soit pour résidence principale. Nous avons un peu de mal à demander chaque année la taxe d’habitation mais nous essayons de mener un suivi. Lorsqu’un locataire commence à louer un logement nous rappelons que, du fait de l’achat de leur logement à prix réduit, ils sont contraints de pratiquer un loyer social, ce qui réduit souvent leurs velléités à passer en location. Nous portons également attention au taux d’effort. Il peut nous arriver de refuser des candidats si nous pensons que la solvabilité va être difficile.
Nous offrons également des garanties grâce à notre activité de bailleur. Nous avons trois garanties associées à la vente HLM. Premièrement la garantie de rachat : si la personne doit revendre son logement et n’y parvient pas, nous apportons la garantie du rachat. Deuxièmement, la garantie de relogement : si nous devions racheter le logement d’un de nos acquéreurs nous assurons la garantie de relogement dans notre parc social. Troisièmement, une garantie revente qui vient compenser l’éventuelle moins-value que l’acquéreur pourrait faire s’il était amené à revendre son logement.
Comme évoqué précédemment, nous limitons la taille des copropriétés. Nous proposons des immeubles qui dépassent rarement les 50 logements. Nous avons remarqué qu’il est très important d’anticiper le fonctionnement de la copropriété pour éviter des schémas de gestion trop complexes qui peuvent entrainer un désintéressement de la part des copropriétaires et le déclin de la copropriété.
Quels leviers spécifiques avez-vous pu développer pour lutter contre les copropriétés dégradées ?
Nous développons des actions de portage de copropriétés dégradées. Notre maison mère, Action Logement, nous a demandé d’intervenir pour sauver certaines copropriétés. On achète certains logements que nous transformons en logements sociaux puis nous menons une action de portage sur 10 ans et revendons ces logements au bout de ce temps. Nous avons comme objectif d’intervenir sur 350 lots sur 5 ans. Nous travaillons notamment sur Sarcelle dans le cadre de 40 copropriétés dégradées.
Vous portez également la casquette d’aménageur ?
Nous avons remarqué, dans des quartiers mono-bailleurs où nous gérions l’ensemble du parc du quartier hormis une ou deux copropriétés, que celles-ci étaient parfois totalement négligées. Nous menions des actions de réhabilitation et de renouvellement sur notre parc et nous avons donc eu, à l’occasion, des copropriétés qui ont exprimées un désir que nous les aidions à réaliser des actions de rénovation. Nous avons donc vu une nécessité d’intervenir sur du recyclage urbain à l’échelle du quartier mais de manière autonome, c’est-à-dire en portage directe et sans les financements publics. Nous procédons donc maintenant au renouvellement global de quartiers en menant des réhabilitations, des démolitions et des reconstructions et en vendant des charges foncières à des promoteurs immobiliers tout en intervenant sur des espaces communs ou publics.
Quartier des Impressionnistes à Louvres
Qu’est-ce que vous pouvez proposer pour ces copropriétés en difficulté dans des quartiers mono-bailleur ?
Nous pouvons proposer de mettre à disposition notre activité de syndic et également leur faire bénéficier de groupement de commandes dans le cadre de nos marchés. Lorsque nous allons réhabiliter notre patrimoine, on peut réfléchir à l’intégration de la copropriété dans ce marché global.
Il est important de pouvoir les aider parce que cela nuit à l’image du quartier et cela génère des conditions de vie non satisfaisantes pour nos locataires et nous avons plus de mal à céder nos logements dans le cadre de la revente HLM lorsque nous sommes sur un quartier en difficulté et de même pour trouver des locataires pour nos logements.
Nous avons donc développé cette vision transverse qui est venue comme une nécessité de gérer ces questions de copropriété à l’échelle du quartier également.
Le mot de la fin pour Vizea :
Nous avons parlé de logement et de la parcelle privée, mais cette approche globale et la Copropriété Durable est aussi intéressante au sens plus large. Ce sujet nous tient à cœur chez Vizea et, à ce titre, nous estimons qu’il est intéressant d’aller au-delà de l’échelle du bâtiment. En effet, elle peut être étendue à la conception de l’espace public en répondant aux questions suivantes : Comment peut-on limiter les charges d’entretien ? Comment forme-t-on les gestionnaires ? Comment limiter l’impact global et environnemental des espaces publics sur les projets. C’est une démarche que nous essayons d’appliquer notamment sur le projet de la ZAC du Bas-Clichy à Clichy-sous-Bois.