Est-ce que le futur de la construction bas carbone ne serait pas une alliance entre la réversibilité des bâtiments et une optimisation des usages ?
Le secteur du bâtiment, responsables d’importantes émissions de gaz à effet de serre
Aujourd’hui, le secteur du bâtiment est responsable d’environ 23 % des émissions de gaz à effet de serre françaises (en considérant les consommations énergétiques des bâtiments et les travaux de construction ou de rénovation). Face aux objectifs de neutralité carbone que s’est fixée la France d’ici 2050 via la stratégie nationale bas carbone (SNBC), l’acte de construire et de rénover nos bâtiments doit évoluer pour mieux prendre en considération les efforts de réduction des émissions à réaliser.
La construction neuve est réglementée par la RE2020, en vigueur depuis le 1er janvier 2022, et cadre notamment les émissions de GES d’un bâtiment sur sa phase de chantier et sa phase d’exploitation. Les seuils qui doivent être respectés évoluent jusqu’à 2031 de manière à ce que la filière du BTP puisse développer ses méthodes de construction bas carbone, ainsi que les filières de matériaux adaptées.
Sur le volet de la rénovation, il n’existe aujourd’hui aucune réglementation qui vient de manière similaire, évaluer les émissions de gaz à effet de serre des matériaux mis en œuvre, de leur renouvellement, des processus en phase chantier.
Alors finalement au-delà de la seule manière de construire et de rénover, un des leviers pour concrètement réduire les émissions de GES futures, est peut-être la réversibilité des bâtiments, pour mieux anticiper les travaux de modification et de transformation d’un bâtiment.
D’un point de vue des usages, alors que la durée de vie moyenne d’un bâtiment dépasse en général 50 ans, son usage, lui, change souvent au cours du temps (bureaux transformés en logements, commerces reconvertis en espaces de coworking ou ateliers). Ce sont tous ces changements qui entraînent des travaux et souvent une destruction partielle, générant des déchets, des consommations énergétiques et la mise en œuvre de matériaux neufs et donc des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre.
Alors, revenons aux fondamentaux : qu’est-ce que la réversibilité concrètement ?
Selon l’AQC, la réversibilité caractérise l’aptitude d’un ouvrage, neuf ou existant, à changer facilement d’usage plusieurs fois dans le temps. L’AQC dans son guide pour la réversibilité regarde quatre autres notions :
- La démontabilité : capacité d’un bâtiment à être démonté de façon non destructive, pour le déplacer ou pour restituer le site à son état d’origine
- L’évolutivité /modularité : capacité à la flexibilité et à l’élasticité afin de faciliter les changements d’affectation des espaces d’un bâtiment
- L’hybridation : réversibilité progressive du fait d’une liberté de l’espace, d’une indétermination des usages ou d’une programmation plurifonctionnelle au sein d’un même bâtiment
- La transformation : reconversion et restructuration lourdes avec changement de destination.
Ces différentes dimensions nous invitent à caractériser plus concrètement ce qu’il y a derrière la notion de réversibilité.
Quels sont les grands principes de la réversibilité ?
Les grands principes de la réversibilité incluent notamment :
- Une structure porteuse indépendante des cloisonnements pour permettre la redistribution des espaces, sans intervention lourde sur la structure
- Une hauteur sous plafond adaptée pour différents usages (exemple des hauteurs sous plafonds des logements ou des bureaux qui sont généralement différentes)
- Une trame constructive modulable (par exemple 7,20 m plutôt que 5,40 m pour accueillir des aménagements variés), dans laquelle une trame plus légère pourra également exister s’il y a un besoin de cloisonner davantage
- Des réseaux techniques accessibles et démontables, facilement remplaçables et clairement identifiés
- La mise en œuvre de matériaux de second œuvre facilement remplaçables et n’engendrant pas de dommages sur d’autres matériaux lors de leur dépose. Les poses mécaniques sont par exemple privilégiées aux poses collées pour les revêtements de sol.
- Des menuiseries extérieures dimensionnées et positionnées pour convenir à plusieurs usages
- Des systèmes techniques dimensionnés pour convenir) plusieurs usages
- Une conception liée au confort d’été adaptée à différentes plages d’usage
Si en tant que concepteur d’un bâtiment réversible nous mettons en œuvre ces principes, il serait alors intéressant de pourvoir mesurer les émissions de GES réellement évitées selon le cycle de vie du bâtiment et de pouvoir corréler par ordre d’importance les différents leviers. Pour cela, il est nécessaire de comprendre comment sont décomposées les émissions d’un bâtiment moyen.
Comment décortiquer les émissions de GES d’un bâtiment ?
Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que les émissions de GES engendrées par un bâtiment neuf (en lien avec les seuils de la RE2020) sur son cycle de vie sont réparties de la manière suivante :

L’indicateur Ic Construction intègre les émissions liées à la mise en œuvre des produits de construction et l’indicateur Ic énergie intègre lui les émissions liées aux consommations énergétiques du bâtiment sur 50 ans. En moyenne, 67% des émissions d’un bâtiment sur 50 ans sont ainsi liées aux produits de construction (mise en œuvre, renouvellement et traitement en fin de vie) et 33% aux consommation énergétiques.
Dans ces 67% d’émissions, est comptabilisée la fin de vie des matériaux, au regard des analyses de cycle de vie propres à chaque matériau. Et en moyenne, il peut être considéré que 10% des émissions sont à relier à cette phase de fin de vie.
Comment sont pris en compte les travaux dans l’empreinte carbone globale d’un bâtiment ?
Nous avons donc vu que la construction et le renouvellement de certains produits de construction sont considérés dans l’impact carbone initial d’un bâtiment sur 50 ans, mais les travaux de rénovation lourde que celui-ci subit au bout de 30 ou 40 ans ne sont pas considérés. Ainsi, lorsqu’un bâtiment non réversible doit être démoli après 30 ans pour changer d’usage, il faut reconstruire, ce qui vient finalement grever le poids carbone global.
Essayons d’y voir plus clair à l’aide d’un cas pratique :
Pour un bâtiment tertiaire de 10 000 m² ayant une durée de vie cible de 50 ans, différents scénarios de réversibilité et d’impact carbone ont été modélisés. Il en ressort les éléments suivants :
Prenons l’exemple d’un bâtiment tertiaire de bureaux. Dans le cas le plus classique, la conception du bâtiment ne permettra pas une réelle réversibilité dans le temps. Des travaux de rénovation, qu’ils soient d’ordre énergétiques ou plus lourds seront réalisés au bout de 30 ans.

Ces valeurs estimées sont issues à la fois de la RE2020 pour la valeur seuil de construction d’un bâtiment de bureaux, et issus de retours d’expérience Vizea extrapolés pour les rénovations et déconstructions. Si ces valeurs peuvent être remises en question, il s’agit avant tout de comprendre les ordres de grandeurs et les enjeux qui se cachent derrière chaque nouvelle phase que subit un bâtiment.
Il est donc important de considérer que si tous les grands principes de la réversibilité sont mis en œuvre, l’ensemble des travaux de rénovation et de réallocation des espaces et de changement d’usage, seront davantage réduits dans le temps, voir divisés par 2 au global sur 50 ans.
A noter que cela suppose aussi que le changement d’usage ne soit pas non plus drastique, remettant en cause l’ensemble des systèmes techniques et de leur dimensionnement pour convenir aux nouveaux usages.
Concevoir des bâtiments réversibles, c’est passer d’une logique de cycle court à une logique de résilience. C’est aussi reconnaître qu’un bâtiment n’a pas une fonction figée : il vit, il évolue. En réduisant les démolitions et reconstructions, on économise des milliers de tonnes de CO₂, tout en répondant à la demande croissante de flexibilité immobilière.
