Le maillage existant comme support d’un réseau cyclable en milieu rural

Le premier composant du système vélo est son réseau cyclable. Ce dernier doit être continu, interconnecté, hiérarchisé et autant que possible sécurisé. C’est aussi le composant du système vélo qui demande le plus d’investissement. En milieu urbain, il est facile de justifier la création de pistes cyclables car le ratio quantité d’usagers par kilomètre d’aménagement sera très bon. Il ne sera pas du tout le même en milieu rural.

Créer un réseau cyclable en milieu rural en équipant des départementales de pistes cyclables ou de voies vertes pour reconnecter différents bourgs de quelques centaines d’habitants à la polarité la plus proche représente un investissement très important, pour un nombre d’usagers potentiels faible. Nous verrons dans cet article quelques solutions pour quand même créer des continuités cyclables, notamment en utilisant le maillage routier secondaire et les chemins ruraux.

 

Penser réseau

Le but d'un réseau cyclable est de pouvoir se déplacer dans l'espace (au moins deux dimensions donc) à vélo. Cela parait être un truisme, pourtant aujourd'hui, dans la majorité des territoires, ce réseau cyclable n'existe pas.
Si l'on souhaite augmenter la part modale du vélo, il est donc nécessaire de « penser réseau ».
L'une des caractérisations les plus importantes du réseau est sa hiérarchisation. Hiérarchiser le réseau cyclable permet de compartimenter les questions que l’on se posent à son sujet :

Une hiérarchisation implique donc une échelle avec deux extrémités. D'un côté les voies qui se veulent les plus structurantes possibles, qui sont souvent les aménagements phares des territoires : les « autoroutes à vélo » ou Réseau Express Vélo. Plusieurs villes ont mis un grand coup d'accélérateur cette dernière décennie pour faire naître ce type de réseaux cyclables très reconnaissables comme :

 

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Figure 1: Les réseaux Express comme aménagements phares des territoires

Pour ne pas citer Paris et de son RERV, voir l'article de Manon ROLLET à ce sujet.

Mais qu'y a-t-il de l'autre côté de l’échelle de la hiérarchisation ?

Quid des réseaux cyclables dans les territoires moins denses ?  De ces réseaux secondaires qu'il faut aménager sur de nombreux kilomètres pour desservir un potentiel d'usagers plus faible ? Comment les aménager ? Quel budget leur consacrer ?

 

Des voies vertes pour moins de 50 passages par jours ?

Les recommandations du CEREMA concernant les types d'aménagement sont assez parlant sur ce sujet :

 

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Figure 2 Aide au choix des aménagements en fonction de la circulation motorisée et du nombre de cyclistes attendus. Rendre sa voirie cyclable, CEREMA, 2021

Pistes cyclables, ou voie verte, séparation totale du trafic motorisé donc, apparaissent nécessaire dès lors que le trafic dépasse la vitesse de 50 km/h ou 70 km/h et un niveau d'importance respectivement de 6 000 ou 4 000 véhicules par jour, ce qui ne correspond qu'à un niveau de trafic modéré pour une départementale.

Les premières préconisations d'aménagement conseillées par le CEREMA sont identiques pour des itinéraires utilisés par 5, 10, 50 ou 750 passages de cyclistes par jour. C’est-à-dire que le coût d'aménagement au km sera similaire entre un itinéraire très utilisé reliant un bourg densément peuplé et sa zone d'activité périphérique située à 3km, et un itinéraire qui permet de connecter un petit bourg isolé à la commune centre de son territoire, 9km plus loin.

Le raisonnement est pourtant sans erreur : même pour 10 cyclistes, les exigences de sécurité sont les mêmes. En fonction de l'environnement dans lequel circulent ces personnes à vélo, de la vitesse ou du niveau de trafic, il est nécessaire de les sécuriser. Ce raisonnement est de plus appuyé par l'importante augmentation du nombre d'accidents de la route ayant entraîné le décès d'un cycliste, particulièrement marqué en territoire rural. Selon le bilan de l'accidentalité de l'année 2021 de l'Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière paru en septembre 2021, alors que la progression de la pratique cycliste a progressé de +31% en milieu urbain et +14% en milieu rural, la mortalité a augmenté de +7%, en milieu urbain et +37% en milieu rural, soit 4 fois plus vite en milieu rural.

La sécurisation des déplacements cyclables en milieu rural est une nécessité.

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Figure 3 Bilan Accidentalité 2021, ONISR, Sept 2022

Un dilemme se pose alors : si les territoires doivent créer leur réseau cyclable hiérarchisé, notamment à l'échelle intercommunale, comment répartir les budgets annuels d'aménagement ? Est-ce que la priorisation des axes qui bénéficient du plus fort enjeu de report modal doit reléguer à un futur lointain l'aménagement des itinéraires de connexion vers les bourgs éloignés ?

Si ce potentiel de report modal des secteurs denses pèse dans la balance, la sécurité des usagers et le désenclavement des territoires ruraux, souvent aussi déconnectés du réseau de transport en commun, pèse dans l'autre plateau.

Il faut trouver des solutions à prioriser pour ces territoires.

 

L'utilisation du maillage routier local et des chemins agricoles

Si l'aménagement de voies vertes ou de pistes cyclables en bordure de départementales, dans une fourchette de 250 à 300 milles euros du kilomètre permettrait de créer des itinéraires cyclables plus directs et donc plus concurrentiel de la voiture comme celles qui existent au Pays-Bas, en France certains bourgs devraient attendre des décennies avant d'avoir leur liaison de réalisée.

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Aménagement de pistes cyclables bidirectionnelles le long de routes, en milieu rural à environ 20 km au Sud d'Amsterdam, Google Map, Pays-Bas

La couleur rouge a été rajoutée par-dessus la photo pour localiser les aménagements.

En attendant, il semble intéressant de rechercher d'autres solutions à plus court terme pour reconnecter au maximum les territoires entre eux et aux centralités. Il se trouve que nos territoires ruraux possèdent un réseau de voies particulièrement dense qui pourraient être le premier support de la mobilité cyclable : routes communales secondaires, chemins agricoles, chemins forestiers, etc.

 

De routes communales secondaires à itinéraires cyclables conseillés

Concernant les routes communales secondaires, ces dernières sont caractérisées par la hiérarchisation du réseau routier. Une voie est secondaire, si un autre axe que cette dernière est plus structurant, c’est-à-dire, s’il permet d'effectuer le même trajet pour un « coût » de trajet inférieur (le coût d'un trajet est fonction de son temps de parcours et de la distance à parcourir).

L'intérêt d'utiliser ces axes secondaires, est qu'ils peuvent accueillir une circulation cyclable en mixité avec le trafic et donc permettre de construire un réseau cyclable à moindre frais, à la condition que le trafic y soit très faible, soit inférieur à 1 000 véh/jour. Nous appelons ces itinéraires des itinéraires conseillés.

La réalisation de ces itinéraires cyclables conseillés repose alors sur de la signalétique de sensibilisation et d'information des automobilistes, les informant qu'ils circulent sur un itinéraires cyclables.

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La Charente-Maritime est dépourvue de panneaux « Partageons la route » contrairement à d’autres départements comme le Loir-et-Cher. © Crédit photo : LCC

 

De routes communales à chemins multiusage sauf motorisé

Il est possible d'améliorer encore la cyclabilité sur ces axes, non pas en les aménageant, mais en les apaisants, par une réduction drastique de la vitesse et du trafic, voire en supprimant le trafic.

Equiper_ou_apaiser_deux_stratégies_pour_améliorer_la_cyclabilité.jpg

 

Photos : Schéma CEREMA Et ADAV livret CodeDeLaRue 2022

Le coût économique de l'aménagement est donc dérisoire, équivalent à l'itinéraire conseillé. Il s'agira d'installer de la signalétique, voire une barrière amovible de type voie verte. Cependant un autre coût doit être ici acquitté, il s'agit d'un coût politique. Puisque la voie était avant praticable en voiture, mais ne l'est plus. Un tel projet doit alors être porté politiquement, et potentiellement bénéficier d'un accompagnement au changement, le temps que soit vécu l'expérience de ses avantages pour contrebalancer le sacrifice de l'usage motorisé.

Le trafic est alors en toute conscience supprimé sur l'axe secondaire et reporté sur l'itinéraire principal, pour donner une place sécurisée aux modes doux… et aux engins agricoles, surtout en chemin rural.

 

De chemin rural à chemins multiusages sauf motorisés (dont comme itinéraire cyclable)

Un autre type de voie doit attirer notre attention pour réaliser des liaisons cyclables en territoire rural : le chemin rural.

Selon le Code Rural (Article L161), les chemins ruraux appartiennent à la commune, sont affectés à l'usage du public et ne sont pas classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. Selon le même code, un chemin à l'usage du public est présumé appartenir à la commune, sauf preuve contraire fournie par ceux qui s'en prétendent propriétaire (les contestations sont jugées par les tribunaux de l'ordre judiciaire).

De nouveaux questionnements sont soulevés par ces chemins :

Les règles d'usages des chemins ruraux,

En effet, le chemin rural, même s'il est d'usage public, est aussi un outil de travail vital pour l'agriculteur. Il lui permet d'accéder à ses parcelles: de la simple voiture banalisée afin d’aller réaliser une inspection de ses cultures jusqu’à  la moissonneuse batteuse. De plus, ce dernier n'est pas encore habitué à faire des rencontres sur ces chemins, voire ne le souhaite pas.

L’action de penser la cohabitation entre ces deux usagers : cycliste et agriculteur est donc une étape primordiale, et il ne faut pas commettre l’erreur de la sous-estimer. Penser la cohabitation peut se faire en deux étapes :
La première étant de construire les règles d’usages sur ces chemins. Des règles claires permettraient de réduire les conflits. Ne pas être d'accord avec la règle commune est moins conflictuel que de camper chacun sur sa règle individuelle.
Les questions à trancher peuvent être :

Il pourrait être intéressant de coconstruire ces règles entre agriculteurs et associations de cyclistes, ces dernières ayant tout intérêt à participer pour gagner des itinéraires cyclables sécurisés.

a seconde est de réussir à bien afficher, communiquer et sensibiliser sur la règle.

Image1.pngRéussir_son_affichage_des_règles_dusages.jpg

Signalisation de la route Wikimedia Commons

 

Le revêtement des chemins ruraux

En comparaison à la route communale, le chemin rural soulève à nouveau les questions du choix du revêtement.

Ce dernier doit s'intégrer dans son environnement, qui sera ici plus naturel que routier. Il doit être plutôt roulant pour un usage cyclable en tout temps. Il doit être solide pour résister durablement aux passages et aux entrées et sorties des engins agricoles. Il doit être accessible en termes de coût, car le ratio nombre d'usagers sur longueur de l'itinéraire sera défavorable à un aménagement couteux.

 

L'expérience de Caen La Mer

 

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Figure 4 Photo et article de Caen Liberté "Une nouvelle voie pour les vélos réalisée au nord de Caen sur un chemin rural"

L'expérience de ces types de chemin a été réalisée, notamment à Caen La Mer en 2021.
Un chemin rural de 800 mètres a bénéficié d'un réaménagement pour être rendu cyclable et permettre une continuité d'environ 2km entre Rosel et Gruchy.

Les travaux ont compris une reprise de la structure du chemin, en stabilisé renforcé, à partir de matériaux même du chemin (40 cm de profondeur de grave et de terre), broyé, malaxé et renforcé avec du liant hydraulique routier (LHR), le tout réalisé par une même machine en un seul passage. Ce procédé permet d’éviter le transport et l’apport de matière première dans des sites parfois difficiles d’accès. Il nécessite cependant des analyses de sol en amont pour vérifier la faisabilité.

Trois semaines de prises sont nécessaires avant d’y ajouter un revêtement de surface au choix. Ce procédé a été choisi pour sa résistance dans la durée, et pour assurer la mixité d'usage vélos/engins agricoles. Le chemin est roulant avec un très bon niveau de service pour les vélos (cyclable par tout temps et assure un bon ratio vitesse/effort) et il est résistant dans le temps au passage des engins agricoles.

Le coût de l'opération est de 45 000 Euros pour 800 mètres, soit 56 Euro du mètre linéaire. En contrepartie, le chemin devient complètement imperméable.

 

Conclusion

La cyclabilité de notre territoire dépend de la présence d’un réseau continu, sécurisé et offrant un niveau de service correct. En attendant un hypothétique futur, peut-être non souhaitable et non pertinent, où toutes les routes départementales seront doublées de pistes cyclables ou de voie verte sécurisées, il est important que des itinéraires cyclables apparaissent même dans les territoires ruraux, les cyclistes  les utiliserons.

Le focus suivant, sera de sécuriser les carrefours incontournables dans un trajet vélo à la campagne.

 

SOURCES

- https://www.sudouest.fr/societe/securite-routiere/charente-maritime-les-cyclistes-souhaitent-des-panneaux-partageons-la-route-14614972.php

- http://www.vizea.fr/actualites/actus/1141-le-rer-v-de-l-initiative-citoyenne-au-projet-politique-regional.html

- https://www.cerema.fr/fr/actualites/mobilites-territoires-peu-denses-quelle-place-velo-quels

- https://goo.gl/maps/YdtVtrKQkLVZKEMb

- https://www.sudouest.fr/societe/securite-routiere/charente-maritime-les-cyclistes-souhaitent-des-panneaux-partageons-la-route-14614972.php

- https://www.ruedelavenir.com/wp-content/uploads/2022/01/ADAV_livret_CodeDeLaRue_2022.pdf

 - https://www.cerema.fr/fr/actualites/mobilites-territoires-peu-denses-quelle-place-velo-quels

- https://www.ouest-france.fr/normandie/rosel-14740/un-chemin-rural-transforme-en-voie-cyclable-69ed8dfc-6057-4a79-872c-5f698831b3dd

- https://actu.fr/normandie/rosel_14542/une-nouvelle-voie-pour-les-velos-realisee-au-nord-de-caen-sur-un-chemin-rural_45373942.html

 

 

 

 

 



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